Extraits de mon travail de biographe
Avant d’écrire pour les autres, j’ai écrit pour lui.
Mon père.
Sa vie, ses souvenirs, ses gestes d’enfance, ses silences.
Pendant plusieurs mois, nous avons parlé. Il m’a raconté. J’ai écouté. Puis j’ai écrit.
Ce livre, c’est le tout premier.
Ma première biographie.
Je l’ai fait imprimer pour lui, et pour mes frères.
Un exemplaire discret, offert, qui a surtout été écrit pour éprouver un désir :
celui de devenir biographe.
J’avais cette envie en moi depuis longtemps, mais je voulais être sûre que cela me plaise, et que j’en sois capable.
Alors il s’est prêté au jeu.
Il m’a prêté sa mémoire.
C’était un exercice très exigeant, car je n’étais pas seulement celle qui écoute et qui écrit.
J’étais aussi une destinataire.
Sa fille. Celle à qui il confiait sa vie, mais aussi celle qui la recevait.
Cette expérience m’a donné une double posture que je porte encore aujourd’hui :
je sais ce que c’est que raconter pour l’autre, et ce que c’est que recevoir un récit en pleine conscience.
Cette biographie-là, intime, modeste et fondatrice, m’a offert une certitude :
j’étais à ma place.
Et je voulais écrire d’autres histoires.
Extraits du livre
Je partage ici des extraits, avec son accord, dans le respect de son intimité.
Ils disent une époque. Ils parlent d’un lien.
Ils montrent, simplement, ce que peut contenir une vie.
Le rituel du coucher
L’heure du coucher, surtout en hiver, était étrangement douce.
D’abord, ma mère me disait :
— Tu viens, Bernard ? C’est l’heure.Je me levais de ma chaise, elle m’attendait dans la chambre.
En hiver, quand il faisait froid, ma mère préparait un plateau de balance en cuivre dans lequel elle mettait un peu d’alcool à brûler. Elle y mettait le feu : cela nous permettait de nous déshabiller en sentant légèrement du chaud autour de soi.Vite déshabillé et mis en pyjama, j’allais rapidement me coucher dans le lit où une brique, sortie du four de la cuisinière et enveloppée dans Le Parisien libéré, journal de mon père, avait été glissée.
L’école et la lessiveuse
Dans notre salle de classe, les tables se partageaient en binômes. Le pupitre, une fois déployé, révélait un casier pour ranger nos affaires, tandis que deux encriers se nichaient dans les trous du bureau.
Ma table se situait au premier rang, sur la droite, près des fenêtres. La classe était chauffée en son centre par un poêle au charbon.
L’institutrice y faisait régulièrement bouillir son linge sale dans une lessiveuse. Celle-ci était semblable à celle dont ma mère se servait, avec un tube planté au centre sur un support posé au fond et terminé par un chapeau. L’eau, chargée de lessive, montait grâce à l’ébullition et ressortait du chapeau en arrosant le linge tout autour.
C’était un processus continu et efficace, formant un circuit de nettoyage en boucle. Je ne pense pas qu’elle avait le droit d’utiliser le poêle de la classe à des fins personnelles, mais il n’y a pas de petites économies.
Le départ pour Alger
En juin 1961, j’ai obtenu le brevet de technicien supérieur (BTS).
Lors du dernier conseil de l’année, on m’a proposé — ainsi qu’à un autre élève — de rejoindre une classe préparatoire au lycée aéronautique d’Alger, pour présenter le concours d’ingénieur militaire aéronautique.À cette époque, la situation en Algérie était encore très tendue. Deux mois plus tôt, en avril 1961, quatre généraux avaient tenté un coup d’État contre le général de Gaulle, refusant l’idée d’une Algérie indépendante.
Mon camarade a refusé l’offre, découragé par son frère engagé sur place, qui l’a mis en garde contre les risques.
Mais moi, j’ai accepté. Je voulais être ingénieur. Et c’est tout ce qui comptait.Mon père m’a accompagné en camionnette jusqu’au Centre d’essai en vol de Brétigny pour prendre l’avion. Fidèle à lui-même, il n’a rien dit — ni encouragement, ni inquiétude. Mais il était là.
L’avion était un DC3, un vieux bimoteur américain à hélices. Les passagers étaient assis face à face, de chaque côté du fuselage.
C’était mon tout premier vol. Je me souviens du roulage, du test des moteurs — un à gauche, un à droite, puis les deux ensemble — et du bourdonnement dans mes oreilles à l’atterrissage. Il m’a fallu deux jours pour retrouver une audition normale.J’allais vers l’inconnu, mais j’y allais avec une certitude simple : je voulais avancer.
Les sauts en parachute
Ceux dont je me souviens particulièrement, ce sont les sauts où je suis resté plus d’une minute en chute libre, sans ouvrir mon parachute, pour réaliser des figures acrobatiques.
J’ai tourné sur moi-même, regardé la Terre défiler sous mes pieds. J’ai fait des loopings, perdu de vue le sol, vu le ciel, puis revu la Terre… avant de penser à ouvrir mon parachute pour profiter tranquillement de la descente vers la zone d’atterrissage.
J’ai aussi eu l’occasion de penser à la mort. Un jour, en tirant sur la poignée d’ouverture de mon dorsal, rien ne s’est passé. Aucun bruit. Celui que l’on n’entend plus mais qui, d’ordinaire, confirme que la voilure s’est bien déployée.
Je n’ai pas réfléchi. Le silence était assourdissant. Alors j’ai tiré sur la poignée du parachute ventral. Trois dixièmes de seconde — peut-être quatre. Le corps a réagi pour survivre. Bon Dieu.
C’était le dernier saut de ce stage. Même si ce n’était pas prévu, j’y suis retourné le week-end suivant. Pour resauter. Pour annuler cette impression de vide. Cette question suspendue.
Je crois que c’est ce que font aussi les cavaliers quand ils tombent de cheval. Je l’ai lu plusieurs fois.
Vous aimeriez écrire votre histoire ? Celle d’un proche ?
Je vous accompagne.
Avec écoute, respect, et une écriture fidèle à votre voix.
Chaque projet est unique. Parlons-en.